L'agence de notation Moody's ne s'est finalement pas alignée sur ses consœurs S&P et Fitch et conserve à la dette française son double A, sous perspective négative. Une décision surprenante observe Denis Ferrand mais assortie d'un commentaire où "tout va dans le sens d’une dégradation". Lors du budget 2026, en particulier du PLFSS, comme après les élections de 2027, la France devra rassurer sur sa capacité politique à redresser ses comptes publics, sous peine d'être étouffée peu à peu par le "nœud coulant de la dette".

L’agence de notation Moody’s a maintenu sa note pour la France mais l’a assortie d’une perspective négative. Plus prudente que ses consœurs Fitch et Standard & Poor’s (S&P), Moody’s n'en dépeint pas moins un tableau et une trajectoire inquiétants des finances publiques en France, alors que les débats sur le budget 2026 débutent au Parlement. Décryptage avec Denis Ferrand, économiste et directeur général de l’institut d’études économiques Rexecode.

L’agence Moody’s n’a pas choisi de dégrader la note de la France, contrairement à S&P et Fitch. Comment expliquer ce choix ?

C’est surprenant. Il y avait une opportunité pour Moody’s de baisser la note, d’autant plus après l’annonce inattendue de S&P une semaine avant. L’agence a quand même assorti sa note d’une perspective négative, et quand on lit leur commentaire, tout va dans le sens d’une dégradation. Le signal de la suspension de la réforme des retraites, notamment, n’est pas bon.

Les discussions à l’Assemblée nationale sur le projet de budget 2026 vont-elles dans le bon sens pour redresser la trajectoire des finances publiques ?

L’Assemblée n’a pour l’instant discuté que de la partie recettes, en commission. Tout l’enjeu est de savoir quel sera notre équilibre et cela passe surtout par l’examen du volet dépenses, dont on n’a pas encore commencé à parler. Il faudra surtout regarder les discussions sur le PLFSS, qui emporte la majeure partie de nos dépenses. En laissant sa note inchangée, Moody’s a peut-être voulu attendre de voir comment cela allait se dérouler dans ce contexte instable et comment le budget allait passer.

En commission des finances, les députés ont supprimé la plupart des mesures d’économies proposées par le gouvernement… C’est mal parti ?

Le texte avec les amendements validés en commission n’a finalement pas été adopté, donc nous en sommes revenus à la copie du gouvernement pour les débats dans l’hémicycle. On n’a toutefois pas l’impression que la recherche de consensus soit là: les positions de chacun sont assez fermées.

Les alertes des agences de notation qui s’enchaînent ces dernières semaines ne semblent pas provoquer d’électrochoc. Ont-elles perdu de leur influence ?

Les agences ne sont pas là pour parler aux Etats, elles parlent aux marchés. Mais elles donnent un signal et restent un symbole: c’est le message qu’on ne parvient pas à rétablir l’équilibre de nos finances publiques, que nos services publics se dégradent et qu’on ne peut plus investir.

Quelles sont nos options pour redresser la barre ?

Ce n’est pas en mettant des impôts prohibitifs qu’on va régler le problème. Les débats doivent surtout se pencher sur les dépenses, on l’a dit, mais le sujet n’est pas simple à aborder, notamment sur les dépenses sociales. Il n’y a pas de discours responsabilisant sur le sujet des retraites, alors qu’il faudrait un véritable dialogue.

Les Français sont pourtant majoritairement favorables à la suspension de la réforme des retraites. La situation des finances publiques ne les inquiète-t-elle pas ?

Les politiques sont totalement irresponsables sur le sujet des retraites: on entretient des illusions, comme la retraite à 60 ans, qui n’est pas tenable compte tenu de notre trajectoire démographique. Les agences de notation s’excitent car elles regardent les grandes masses, quand les élus s’écharpent sur des petites mesures. La taxe sur les holdings, par exemple, aurait un rendement de 1,2 milliard d’euros: c’est anecdotique pour les finances publiques. On n’avancera pas si on perd notre énergie sur des débats secondaires.

Pour la présidentielle de 2027, nous devrons avoir un débat sérieux sur les finances publiques, sinon l’inquiétude va grandir et les taux d’intérêts vont augmenter, étouffant peu à peu notre capacité à investir. Denis Ferrand

Cela fait pourtant plusieurs mois que les gouvernements successifs alertent sur le déficit et la nécessité de le résorber…

Nous avons surtout un déficit d’horizon. François Bayrou évoquait beaucoup le "mur de la dette": on ne fait pas de la politique avec un tableur Excel, il faut donner un projet et un horizon. Pour la présidentielle de 2027, nous devrons avoir un débat sérieux sur les finances publiques.

Peut-on vraiment attendre 2027 pour prendre les choses en main ?

Je n’ai pas l’impression que le mur de la dette soit là: il n’y a pas d’envolée des taux d’intérêts pour le moment. On a encore un peu de temps pour avoir un débat serein. Mais passé 2027, s’il n’y a pas de prise de conscience, l’inquiétude va grandir chez ceux qui nous observent et les taux d’intérêts vont augmenter. En fait, on ne devrait pas parler de mur de la dette: c’est un nœud coulant qui se resserre et qui nous empêche d’investir.

Propos de Denis Ferrand recueillis par Thibaut Déléaz, Le Figaro

> Budget 2026 : «On perd notre énergie sur des débats secondaires», estime l’économiste Denis Ferrand
Le Figaro, 27 octobre 2025

Implicitement la note qu'attribuent les marchés à la dette française équivaut à un "triple B", bien deçà des agences de notation.  Anthony Morlet-Lavidalie

Sur le même sujet, voir aussi les interviews d'Anthony Morlet-Lavidalie, économiste France, sur France 24 et France Info.

A. Morlet-Lavidalie a notamment rappelé, qu'implicitement la note qu'attribuent les marchés à la dette française équivaut à un triple B, bien en deçà des agences de notation. Les marchés financiers ont en effet sanctionné la France dès la dissolution de l'Assemblée Nationale en 2024. L'écart de taux d'emprunt souverain entre la France et l'Allemagne a alors bondi de 50 à 80 points et oscille depuis autour de cette marque.

> Budget 2026: Où est vraiment le mur de la dette?
France Info, Le débat de l'éco du 25/10/2025 animé par Emmanuel Cugny et Benjamin Fontaine avec Philippe Trainar Le Cercle des économistes et Anthony Morlet-Lavidalie

> Moody's maintient la note de la France
France 24, 24/10/2025, Anthony Morlet-Lavidalie répond aux questions de Aude Kersudec