Focus
Perspectives économiques à court terme
La Commission d'enquête du Sénat sur les aides publiques aux entreprises a rendu son rapport le 8 juillet 2025. Elle avait auditionné le directeur des Etudes de Rexecode en février. Dans son exposé, Olivier Redoulès rappelle que, outre la question de leur périmètre, l'évaluation des aides publiques doit tenir compte du poids des prélèvements obligatoires sur les entreprises en France en comparaison européenne, ainsi que de la réalisation des objectifs visés par ces mesures.
Lorsqu'on parle d'aides publiques, il est important de rappeler qu'il s'agit de montants qui viennent en retrait ou en complément d'un niveau de prélèvement globalement élevé en France en comparaison européenne.
- Avec un taux de prélèvement net sur les sociétés non financières d'à peu près 20% de valeur ajoutée brute en 2023, la France se place en deuxième position derrière la Suède sur l'ensemble des pays européens.
- S'agissant des impôts de production nets des subventions, la France est en 4ème position. La Suède est 1ère, parce qu'elle finance une partie de son modèle social par un impôt de production plutôt que par des cotisations sociales. Cela illustre la difficulté d'effectuer des comparaisons internationales si on ne prend pas en compte l'ensemble des éléments.
- Les impôts de production ont connu des baisses importantes en France dans le cadre du plan de relance et de la diminution de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Entre 2019 et 2024, la fiscalité de production nette des subventions pour le secteur manufacturier a baissé de moitié, ce qui montre l'effort consenti par les pouvoirs publics. Cela étant, la France demeure à des niveaux beaucoup plus importants que dans les autres pays, en particulier l'Allemagne, et au-dessus de la moyenne de la zone euro.
Une partie des aides aux entreprises concernent le coût du travail. Le CICE et les allègements de cotisations ont-ils été efficaces?
- La comparaison du coût horaire dans le secteur manufacturier au 3e trimestre 2024, montre que malgré les efforts consentis suite au rapport Gallois de 2012 sur le "Pacte pour la compétitivité de l'industrie française", la France se situe dans le groupe des pays où le coût du travail est le plus élevé. La France se distingue aussi par des cotisations patronales plus élevées que dans d'autres pays.
Ainsi, le coût du travail en France est à peu près comparable à celui de l'Allemagne ou des Pays-Bas, mais les salaires bruts y sont beaucoup plus bas. Cet écart s'explique notamment par des taux de cotisation non seulement plus importants en France, mais qui affichent également un profil atypique.
- La France a fait le choix de fortement réduire le coût du travail s'agissant du SMIC, ce qui conduit à un coût très bas pour l'employeur à ce niveau. Puis, ce coût devient fortement croissant et le demeure jusqu'à 10 SMIC. Certains pays ont choisi d'autres modèles sociaux et de fiscalité conduisant à une diminution des prélèvements employeurs en proportion du salaire. Ainsi, s'agissant de la question des allègements, ceux-ci viennent en retrait d'un taux qui sinon se situerait autour de 44%, ce qui serait totalement singulier par rapport à tous les autres pays.
Dans une étude que nous avons publiée récemment, nous avons intégré les effets de la fiscalité et des prélèvements, côté salarié, ainsi que ceux du salaire différé qui justifient une partie de ces prélèvements. Nous sommes parvenus à la conclusion que la France subventionne assez massivement le travail peu qualifié jusqu'à 1,5 SMIC environ et surfiscalise le travail au-delà. C'est un choix.
- Le point de référence utilisé pour mesurer l'impact de l'effort réalisé au moment du CICE est aussi crucial. La période 2010-2014, a été marquée par une forte hausse des taux de cotisation, puis par une forte baisse en 2019. Si le point de référence est le taux maximal, l'effort est de 6 points de la masse salariale, ce qui est effectivement considérable. En revanche, si le point de référence est la moyenne de la deuxième partie des années 2000, l'effort n'est que de 2 points.
- Un autre élément utile dans l'appréciation de l'efficacité du dispositif est son objectif final. Dans le cas du CICE, il s'agissait de l'emploi industriel.
La part de la France au sein de l'emploi industriel de la zone euro a connu une trajectoire descendante depuis 2000, accentuée entre 2014 et 2016, période correspondant au niveau très élevé de cotisations évoqué précédemment. Depuis 2018, on assiste à une légère hausse, permettant de revenir au niveau de 2015-2016. Est-ce suffisant ? Doit-on être frustré d'être toujours au plus bas avec l'Espagne ? Sans doute, mais cela témoigne en réalité de l'impact, s'il y en a un, des politiques d'offre en faveur de l'emploi industriel puisque la France est parvenue à stabiliser une dynamique qui était baissière.
Il semble aussi intéressant de disposer d'une perspective de partage de la valeur quand on examine les prélèvements. Or son évolution ne porte pas la trace d'aides massives.
Le partage de la valeur ajoutée des sociétés non financières décompose la valeur ajoutée entre la masse salariale brute, les prélèvements nets sur les entreprises, les revenus du capital, les transferts, sorte de résidu, et l'épargne après prélèvements nets en capital, en fait ce qui reste pour financer normalement l'investissement.
On ne retrouve pas dans son évolution en France le montant de 200 milliards d'euros d'aides aux entreprises identifié par le Centre lillois d'études et de recherches sociologiques et économiques (Clersé). Pourquoi ? Il apparaît qu'au fil du temps, on a augmenté les prélèvements, tout en intervenant massivement dans l'économie.
Cette intervention était nécessaire face à l'augmentation des prélèvements. Lorsque vous augmentez par exemple le prélèvement d'un point de valeur ajoutée, les profits des entreprises étant très hétérogènes, certaines d'entre elles pourront l'absorber, d'autres pas. De manière assez systématique, on a ainsi tenté de soigner celles dont la santé financière était plus fragile. On a donc manié, en quelque sorte, la carotte et le bâton en même temps.
Le périmètre mouvant des aides publiques aux entreprises
Rexecode a publié une note sur le terme même d' "aides aux entreprises". Deux excellentes notes avaient été publiées par deux organismes de très grande qualité France Stratégie, dans son ouvrage sur les politiques industrielles en 2020 et le Clersé. Nous avons comparé ces deux études pour identifier les différents composants, dispositifs et montants compris dans la notion d'aides publiques aux entreprises, en réalisant un tableau comparatif.
On a constaté que ces deux instituts parvenaient à des montants différents en raison de divergences méthodologiques. Il existe, en effet, plusieurs options, aussi valables les unes que les autres pour déterminer ce qu'est une aide aux entreprises. L'Insee fournit la liste des prélèvements obligatoires, à un niveau très fins par impôt, or ce n'est pas le cas s'agissant des aides. Cela manque sans doute pour analyser de manière plus précise la situation.
Dans le périmètre des aides publiques, peuvent figurer un certain nombre de crédits d'impôt, dont le CIR, feu le CICE, mais aussi le prêt à taux zéro (PTZ). On peut y inclure les exonérations des organismes HLM de l'impôt sur les sociétés, qui sont considérés comme des aides aux entreprises. Il en est de même pour un certain nombre de taux de TVA réduits, même s'ils bénéficient en partie aux ménages. Ce périmètre comprend également les dispositifs d'exonération ou de réduction d'impôt, comme ceux qui concernent la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), les allègements de cotisations, ou encore certaines dépenses budgétaires, par exemple celles destinées aux chambres d'agriculture et aux chambres de commerce et d'industrie. On recense également des aides concernant l'audiovisuel public, les retraites de La Poste ou de France Télécom.
Ma réponse in fine pourra apparaitre frustrante mais elle est la suivante: tout dépend du choix du bon périmètre des aides d'entreprise, tout dépend de ce que l'on veut. On peut additionner l'ensemble des montants des aides précitées ou se concentrer uniquement sur celles relatives aux interventions en fiscalité indirecte ou au marché de l'emploi, ce qui nous conduira à évaluer certaines aides plutôt que d'autres. Tout dépend ici de ce que l'on va évaluer, mais il n'y a pas de définition très claire.
> La vidéo et le compte-rendu intégral de l'audition du 11 février 2025
d'Olivier Redoulès (économiste et directeur des études de Rexecode) et d'Evens Salies (économiste à l'OFCE) par la Commission d'enquête sur les aides publiques aux entreprises sont disponibles sur le site du Sénat.
> Le rapport: Transparence et évaluation des aides publiques aux entreprises : une attente démocratique, un gage d'efficacité économique, Sénat, juillet 2025
Rapport fait au nom de la commission d’enquête sur l’utilisation des aides publiques aux grandes entreprises et à leurs sous-traitants, Président M. Olivier Rietmann, Rapporteur M. Fabien Gay, Sénateurs, Tome1, juillet 2025
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