Alors qu'il déclinait depuis deux ans, et en dépit de l'incertitude entourant la politique économique et fiscale, l'investissement des entreprises a progressé de 0,9% au 3e trimestre en France. Une bonne surprise qui n'augure pas forcément d'une reprise. Une large majorité des dirigeants de PME/TPE interrogés par Bpi France et Rexecode anticipent désormais une diminution de leurs dépenses d’investissement et privilégient la modernisation de l'existant, aux dépens des objectifs environnementaux ou d'expansion.

Au rayon, faiblement achalandé, des nouvelles positives en matière économique en France vient de figurer dernièrement la parution d’un taux de croissance très peu anticipé par les prévisionnistes : +0,5% d’un trimestre à l’autre au cours de l’été 2025. Plus encore, la composition de cette croissance détonne avec une progression de 0,9% de l’investissement réalisé par les sociétés non financières. Elle vient interrompre une séquence de repli amorcée au printemps 2023, sous l’effet notamment de la hausse des taux d’intérêt réels, et qui marquait elle-même une rupture par rapport à une période ouverte en 2016 durant laquelle l’investissement des sociétés en France a plus progressé qu’en zone euro et qu’en Allemagne en particulier. 

Malgré son rebond ponctuel de l'été, il est probable que l’investissement des entreprises sera en léger recul en 2025 ou, au mieux, qu'il stagnera

Ce rebond de l’investissement des entreprises au cours du troisième trimestre 2025 signifie-t-il qu’il est insensible à l’instabilité de l’environnement politique tout comme à la hausse des impôts des entreprises qui a repris en 2024? Ce serait sans doute aller un peu vite en besogne. En effet, malgré ce rebond ponctuel, il est probable que l’investissement sera en léger recul en 2025 par rapport à l’année 2024 ou, au mieux, qu'il stagnera. 

Surtout, cette surprise pourrait n’être qu’un feu de paille à en croire les dirigeants de PME/TPE que  BPI France et Rexecode sondent chaque trimestre. Interrogés durant la seconde quinzaine d’octobre, alors que le débat budgétaire ne faisait que commencer, ils se montrent en effet d’une très grande prudence. Une large majorité d’entre eux anticipent désormais une diminution de leurs dépenses d’investissement. Ils ne sont plus que 29% à déclarer maintenir leurs projets de cette nature, une proportion en baisse de 5 points sur un trimestre et qui est la plus basse relevée depuis deux ans que cette question leur est posée, quand 49% prévoient de les reporter et 23% de les annuler purement et simplement. 

Dans un contexte adverse à l’investissement, les deux principaux perdants sont l’environnement et la croissance.

L’affectation de l’investissement est révélatrice également de nouveaux arbitrages des chefs d’entreprise. Dans un contexte adverse à l’investissement, les deux principaux perdants sont l’environnement et la croissance. Ainsi, il n’y a plus que 29% des chefs d’entreprise qui mentionnent l’objectif environnemental comme élément motivant leurs dépenses d’investissement. Cette proportion avait culminé à 47% début 2024 au terme d’une progression qui témoignait de la détermination des chefs d’entreprise à faire face aux défis environnementaux. Sur un autre plan, qu’il s’agisse d’investir dans une nouvelle implantation, d’étendre des capacités de production, de vente ou d’accueil ou encore d’introduire de nouveaux produits ou services, les motivations des chefs d’entreprise sont à date bien moins affirmées qu’elles ne l'ont été en moyenne dans l’historique de notre enquête. Seul l’objectif de renouvellement d’installations devenues obsolètes demeure aussi fréquemment cité qu’il ne l’a été dans cet historique. 

Selon l'Insee, toute la progression de l’investissement des entreprises, que ce soit depuis un trimestre, un an ou cinq ans est attribuable à des dépenses en services

Ces orientations trouvent un écho dans la composition générale de l’investissement relevée par les comptables nationaux de l’Insee. Fait notable, toute la progression de l’investissement des entreprises, que ce soit depuis un trimestre, un an ou cinq ans est attribuable à des dépenses en services: nouveaux logiciels, R&D (hors prototypes et laboratoires…), licences, bases de données, etc. alors que l’investissement en biens d’équipement comme en construction est en baisse quel que soit l’horizon retenu. 

En somme, les entreprises se modernisent et incorporent de plus en plus les nouveaux outils, notamment associés à l’IA, mais réduisent leur empreinte matérielle. Cette adaptation est indispensable à leur permanence dans un contexte de révolution technologique accélérée. Elle pose la question de la combinatoire optimale des investissements immatériel et matériel indispensable à la prospérité du tissu productif. Elle met l’accent également sur la tendance de fond qu’est la perte de substance économique dans notre pays. 

Denis FERRAND

> "L'investissement, seulement un feu de paille…", chronique parue dans Les Echos du 13 novembre 2025