Le rendement potentiel de la "taxe Zucman" sur les patrimoines supérieurs à 100 millions d'euros est à la fois connu et contesté, tant les recettes effectives pourraient s'avérer bien inférieures aux 20 milliards espérés. Mais, d'un point de vue économique, l'essentiel n'est pas là.  Rexecode a estimé qu'en 2015 l'impôt sur la fortune avait conduit à une perte cumulée de PIB de 45 milliards d’euros en 30 ans en raison de l'exil fiscal des entrepreneurs. Soit une perte de recettes publiques de … 20 milliards d’euros.

«Dans la sphère économique, un acte, une habitude, une institution, une loi n’engendrent pas seulement un effet, mais une série d’effets. De ces effets, le premier seul est immédiat ; il se manifeste simultanément avec sa cause, on le voit. Les autres ne se déroulent que successivement, on ne les voit pas ; heureux si on les prévoit».  Le lecteur féru d’histoire de la pensée économique aura reconnu la plume de Frédéric Bastiat. 

Même rédigée il y a 175 ans, cette maxime fournit un solide tamis auquel toute proposition de loi devrait encore être passée. Ainsi en va-t-il de la proposition d’instauration d’un prélèvement de 2% sur le patrimoine des personnes «les plus fortunées» dès lors que l’impôt sur le revenu dont elles s’acquitteraient serait inférieur à cette marque de 2%.  

Le rendement fiscal de cette proposition fait partie du registre de «ce qui se voit»: 20 milliards d’euros de recettes attendues, le chiffre a été répété ad nauseam. Il est contesté au regard du risque d’exil fiscal, du fait de l’installation de longue date de contribuables fortunés à l’étranger ou encore du recours à des pratiques d’optimisation qui viennent en miter l’assiette. Les exemples danois, britannique ou encore norvégien ont du reste montré qu’entre le rendement espéré d’une taxe sur le patrimoine et celui observé, un écart de 75% pouvait intervenir, quand le rendement fiscal effectif n’était pas en définitive négatif. Mais le point le plus important du point de vue économique n’est sans doute pas là.

Exil fiscal des entrepreneurs et cadres dirigeants: un coût invisible mais significatif pour l'économie

Le registre de l’invisible est par définition bien plus complexe à circonscrire sans parler même de sa quantification. En 2017, Rexecode s’était livré, sous la direction de Michel Didier, à un exercice d’estimation des conséquences économiques d’expatriations consécutives à une hausse de la fiscalité. L’objet de l’exercice était d’estimer la perte de potentiel économique née de l’expatriation de catégories de contribuables qui jouent un rôle particulièrement important en matière de création de valeur: les entrepreneurs, éventuellement incités à s’expatrier bien avant la réussite de leur création, et les cadres dirigeants qui jouent un rôle d’«intrapreneurs» au sein de l’entreprise qui les emploie. 

Faute de disposer de statistiques sur le potentiel ultérieur des entreprises, nous avions simulé plusieurs rythmes de développement de celles créés par les entrepreneurs ayant quitté le territoire à partir de règles de probabilités de leur croissance. Sur la base d’un flux permanent d’entrepreneurs s’expatriant évalué à 400 par an et en faisant le choix de privilégier à chaque étape du raisonnement les hypothèses d’impact les plus faibles, nous avions ainsi estimé l’activité ne s’étant pas créée sur le territoire, le manque à gagner en somme que ce soit en termes d’emplois, de valeur ajoutée ou de recettes fiscales et sociales. 

Ces délocalisations fiscales ont débuté en 1982 lors de l’introduction de l’impôt sur la fortune. En supposant ce flux constant, il en résultait une perte annuelle du PIB de 0,06%. Cette masse annuelle est faible, mais en se cumulant pendant plus de 30 ans, le niveau de la production effective sur le territoire s’est écarté par le bas du niveau qui aurait été atteint en l’absence d’expatriations fiscales d’entrepreneurs. Nous estimions alors le cumul du potentiel d’activité qui ne s’est pas créé à 2,1% du PIB, soit 45 milliards d’euros en 2015, année de référence de l’étude. En appliquant à ce montant le taux de prélèvements obligatoires (impôts et cotisations) de 44,5% alors en vigueur, le rendement fiscal et social faisant défaut du fait de délocalisations d’entrepreneurs se montait à… 20 milliards d’euros. 

Hasard des chiffres, jeu d’hypothèses ? Le rendement espéré de la taxe de 2% sur le patrimoine correspond exactement à la recette manquante du fait d’expatriations antérieures d’entrepreneurs que nous avions estimée. Où l’on retrouve Bastiat quand il écrit : « Vous comparez la nation à une terre desséchée et l’impôt à une pluie féconde. Soit. Mais vous devriez vous demander aussi où sont les sources de cette pluie, et si ce n’est pas précisément l’impôt qui pompe l’humidité du sol et le dessèche. »

Taxe sur le patrimoine: ce qui se voit et ce qui ne se voit pas
Chronique de Denis Ferrand parue dans Les Echos le 21 septembre 2025