Focus
Perspectives économiques à court terme
Alors que la France débat vivement du Budget 2026 mais peine à se doter d'une stratégie économique et budgétaire, les économistes, experts et chefs d'entreprise du Front économique le rappellent dans Challenges: "Gouverner, c’est choisir. Dépenser, c’est hiérarchiser et savoir renoncer. En partant de trois priorités simples: financer durablement la solidarité, investir dans notre avenir tout en luttant contre le réchauffement climatique, et produire davantage de richesse."
Depuis plusieurs semaines, la France donne d’elle-même l’image d’un pays qui débat dans le vide. La discussion budgétaire, moment qui définit chaque démocratie parlementaire, s’est transformée en une succession confuse d’affrontements stériles, d’amendements contradictoires dépourvus d’étude d’impact, de postures éphémères.
Alors que notre pays emprunte chaque mois 25 milliards d’euros et verse près de 200 millions d’euros par jour au titre des intérêts de la dette, les quelques 40 milliards d’euros d’alourdissement de la fiscalité adoptés en séance répondront d’autant moins à l’objectif de maîtrise des comptes publics qu’ils viendront affaiblir une base économique déjà fragile.
En deux ans, la France aura connu quatre textes budgétaires contestés avant d’être adoptés selon des procédures exceptionnelles. Entre-temps, les taux se sont tendus, la dette a dépassé 115% du PIB, et le déficit est resté autour de 5% du PIB. Les dépenses publiques de la France représentent ainsi 57% de sa production nationale, contre 50% en Allemagne et pour la moyenne européenne. La France demeure ainsi parmi les pays les plus dépensiers, avec un écart de 7,5 points de PIB avec la moyenne de la zone euro.
Dans un pays où la fiscalité atteint déjà un plafond historique, toute augmentation de dépense publique sans réforme structurelle revient à creuser le déficit et alourdir la dette. Pire : à transférer la charge sur les générations futures.
En parallèle, le monde n’attend pas que la France sorte de ses polémiques. Les États-Unis ont réinventé leur politique industrielle en restructurant leur économie autour de l’IA et de l’investissement dans l’innovation et l’infrastructure numérique. La Chine produit les technologies de la transition énergétique et structure le commerce mondial en fonction de ses besoins stratégiques. En Europe même, des pays avancent: l’Allemagne a transformé ses usages budgétaires et son rapport à la défense au moyen d’une nouvelle politique d’investissement aujourd’hui visiblement absente en France. L’Italie retrouve la confiance des marchés par la discipline et la clarté de ses choix –même sans véritable croissance. La France, elle, débat encore de symboles.
Notre pays ne fait pas face qu’à un problème budgétaire, mais de méthode et de lucidité. Gouverner, c’est choisir ; dépenser, c’est hiérarchiser et savoir renoncer. En partant de trois priorités simples : comment financer durablement la solidarité, comment investir dans notre avenir tout en luttant contre le réchauffement climatique, et comment produire davantage de richesse, .
La France dépense plus pour se protéger qu’aucun autre pays européen. Deux tiers de l’écart de la dépense publique française par rapport à celle de nos voisins s’explique par les dépenses sociales, et d’abord celles des retraites et de santé: 32% du PIB contre 27% en zone euro. Et pourtant, notre système n’est ni plus juste, ni plus efficace.
Le système repose sur une base contributive qui se rétrécit tandis que le nombre de bénéficiaires s’élargit. Le cœur du déséquilibre est dans les retraites : plus de la moitié de la dépense sociale y est consacrée. Les actifs financent un modèle qui ne leur garantit plus la même sécurité demain. Ce déséquilibre n’est pas seulement comptable : il est moral et fait peser sur les générations futures le coût de notre refus d’adaptation. L’ombre des retraites dépasse même la sphère sociale : le budget de l’enseignement paraît élevé, mais une part croissante correspond aux cotisations retraite des personnels, non à l’investissement pédagogique.
Il ne s’agit pas de remettre en cause la solidarité, mais d’améliorer son efficacité, simplifier, lutter contre les redondances, cibler les aides et ainsi d’amorcer une véritable politique de modernisation de l’action publique, qu’elle soit nationale ou territoriale. En cela, est-ce ainsi une bonne justice sociale d’alourdir la charge des retraites en suspendant sa réforme en même temps que sont réduites les incitations à l’apprentissage et que les prélèvements sur les alternants sont augmentés?
L’investissement public n’est pas une charge mais une condition d’indépendance. Pourtant, depuis vingt ans, les budgets de fonctionnement ont progressé, ceux de l’investissement reculé.
Face aux transformations de l’économie mondiale et alors que l’hypothèse d’un monde sans menaces se révèle tous les jours illusoire, une réorganisation s’impose: défense, infrastructures numériques, IA, transition énergétique, recherche-innovation, formation. Ce n’est pas dépenser plus dont nous avons besoin, mais dépenser mieux ; faire du budget un outil d’investissement, pas un instrument de confort.
Il ne s’agit pas de déployer l’État partout, mais d’inciter à l’investissement et à l’initiative privés, soit une politique favorisant la jeunesse et le progrès. Cela suppose de replacer l’investissement dans le système éducatif, les compétences, la recherche et l’innovation au cœur de notre stratégie nationale. C’est notamment en stabilisant les dispositifs d’incitation à l’innovation, en sécurisant l’apprentissage dans les filières scientifiques et techniques, et en rehaussant le niveau scientifique du pays que nous pourrons réellement produire plus de richesse et réduire durablement les déséquilibres publics.
Une solidarité durable ne peut reposer que sur une économie prospère.
La France s’épuise à redistribuer ce qu’elle ne produit plus. On ne finance pas durablement la protection des plus fragiles en augmentant sans cesse la ponction sur la valeur ajoutée. Cette logique crée des oppositions artificielles : riches et moins riches, jeunes et vieux, privé et public. À cet égard, l’idée selon laquelle on pourrait taxer davantage les grandes entreprises pour "protéger" les PME relève d’un contresens économique, tant l’avenir des uns reposent sur celui des autres. De même, le travail ne se partage pas : c’est l’effort de chacun qui doit être valorisé et encouragé
La vraie justice sociale commence par la création de richesse : hausse du taux d’emploi, notamment des plus jeunes, des seniors, des moins qualifiés d’entre nous, gains de productivité, attractivité du territoire, encouragement à l’entrepreneuriat. Cela ne se décrète pas, mais se prépare : cadre fiscal stable, règles claires, incitations à investir et à innover. Attirer les capitaux, libérer les énergies entrepreneuriales et récompenser le risque, c’est recréer un cercle vertueux de productivité et d’emploi au bénéfice de tous.
Ces trois axes sont autant de boussoles pour tous ceux qui déplorent la tournure que prennent les débats à l’Assemblée nationale, pourtant plus souveraine que jamais. A l’image de nombreux pays européens qui ont trouvé dans un passé récent des solutions efficaces sans remettre en cause leur modèle social, la France doit affronter la réalité par un débat économique serein et chiffré. La France peut encore essayer la lucidité.
> Tribune parue sur le site de Challenges et signée par:
Anne-Sophie ALSIF, Patrick ARTUS, Joël-Alexis BIALKIEWICZ, Eric BISMUTH, Dominique CALMELS, Gilbert CETTE, François CANDELON, Thierry CHOPIN, Charles-Henri COLOMBIER, Emmanuel COMBE, Marc DE BASQUIAT, Godefroy DE BENTZMANN, Pierre-André DE CHALENDAR, Jean DE KERVASDOUÉ, Jean-Luc DEMARTY, Rodolphe DESBORDES, Flora DONSIMONI, Alain DURRE, Hakim EL KAROUI, Denis FERRAND, Angeles GARCIA-POVEDA, Laurent GIOVACHINI, Christian GOLLIER, Thomas GRJEBINE, Marc GOMES, Hervé GUILLOU, Eric HAZAN, Arthur JURUS, Erwan LE NOAN, Victor LEQUILLERIER, Jean-Pierre LETARTRE, Antoine LEVY, Patrick MARTIN, Bertrand MARTINOT, Ross MCINNES, Franck MOREL, Anthony MORLET-LAVIDALIE, Hervé NAVELLOU, François-Xavier OLIVEAU, Olivier REDOULES, Robin RIVATON, Erell THEVENON, Raphaël TROTIGNON, Arnaud VAISSIE, Philippe VARIN.
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