En 2025, la guerre commerciale du président Trump, arme de reconquête de l'attractivité américaine, a occupé le devant de la scène. C’est pourtant la Chine qui pose le principal défi à l’économie européenne. Autrement dit, le retour de l'éléphant républicain ne saurait masquer "l'éléphant dans la pièce" qu'est le choc de l'hyper compétitivité chinoise. Il exige que les pays de l'Union européenne débattent de réponses communes, et surtout, qu'ils lèvent les barrières qui rétrécissent leur marché commun.

C’est l’heure des bilans… 2025 fut l’année du serpent en Chine… et de l’éléphant aux États-Unis, l’animal totémique du Grand Old Party, dont le représentant, Donald Trump, est de retour à la Maison Blanche depuis le 20 janvier dernier. La portée et les conséquences économiques de ce début de second mandat sont d’ores et déjà considérables, notamment dans le champ du commerce international. 

Depuis que l’éléphant est de retour dans le Oval Office, les négociations qui se sont tenues autour de la remontée des droits de douane à l’entrée du territoire américain ont été âpres et fluctuantes. Elles ont occasionné des mouvements d’anticipation puis de rechute des exportations vers les États-Unis, d’une ampleur comparable à la période du Covid. Elles ont surtout été assorties de promesses d’investissement sur le territoire américain que la Maison Blanche estime à 9000 milliards de dollars, soit plus de 30% du PIB américain. Si ce montant sera in fine très inférieur, les droits de douane apparaissent pour ce qu’ils sont: un moyen au service de l’affirmation du leadership technologique et industriel grâce au levier du réinvestissement productif sur le territoire national. 

24 ans après l'entrée de la Chine dans l'OMC, l'Europe subit un  deuxième choc de compétitivité. L'excédent commercial de la Chine vis à vis de l'UE dépasse désormais celui qu'elle dégage avec les Etats-Unis.

Du côté européen, il y a bien un éléphant dans la pièce, celui du deuxième choc chinois. Après la redistribution des parts de marché dans le commerce mondial en faveur de la Chine suite à son entrée à l’OMC au début du siècle, ce nouveau choc s’illustre de multiples manières. 

Il se voit par la détérioration massive du solde commercial bilatéral sino-européen: l’excédent en faveur de la Chine dépasse désormais celui que cette dernière réalise dans ses échanges avec les États-Unis. Il se lit dans la domination des exportations réalisées depuis la Chine, qui opère désormais au moins 50% des exportations mondiales dans le cas de 15% des 5000 lignes de produits faisant l’objet de commerce international. C’est sans précédent et ça n’est pas terminé. La nouvelle stratégie chinoise, au libellé transparent: "China Standards 2035", a pour objectif à terme de normaliser les conditions de production en fonction des normes chinoises maintenant que la conquête de parts de marché substantielles est accomplie.

Si "le bruit et la fureur" ont fait passer au premier plan les tribulations commerciales américaines, c’est bien la Chine qui pose le principal défi à l’économie européenne. L’avantage compétitif façonné par la Chine au moyen de la formation de surcapacités industrielles est désormais massif et l'Europe ne pourra éluder en 2026 un débat sur l’alternative entre produire et importer.  En trois ans, les prix relatifs des exportations chinoises ont reculé de 30 points par rapport à ceux des exportations européennes, un choc dont la soudaineté et l’ampleur ne peut que bouleverser violemment la structure des approvisionnements européens. 

Face à l'hyper compétitivité chinoise, l''Europe ne pourra éluder en 2026 un débat sur l’alternative entre produire et importer

Au-delà de l’érection de barrières tarifaires, les réponses à ce défi sont connues: elles passent par des politiques de contenu local, par l’incitation à l’investissement chinois en Europe dans des joint-ventures pour servir le marché européen, par des transferts de technologie de la Chine vers l’Europe. Leur profitabilité est incertaine. En effet, par le passé, de tels transferts ont toujours été opérés depuis des zones à coûts de production élevés vers des zones à coûts plus faibles. Un transfert de la Chine vers l’Europe serait inédit. Ces solutions doivent être débattues. 

Il existe un gisement de croissance qui ne dépend que des Européens eux-mêmes: un marché intérieur libéré des barrières internes qui perdurent

Il existe surtout un gisement de croissance qui ne dépend que des Européens eux-mêmes: celui d’approfondir le marché intérieur européen en révoquant ses barrières internes qui perdurent. Des travaux dirigés par Lionel Fontagné ont montré que seulement la moitié des bénéfices potentiels de l'adhésion à l'Union européenne ont été réalisés à ce jour. 

Le défi est extérieur, les réponses sont à trouver grâce à un débat exigeant et urgent pour surmonter aussi l’aversion européenne au risque et son goût pour la surrèglementation. C’est ainsi qu’elle pourra sortir de son hyper pusillanimité qui contraste avec l’hyper attractivité américaine et l’hyper compétitivité chinoise.

> Chronique de Denis Ferrand parue dans Les Echos du 10 décembre 2025