Focus
Perspectives économiques à court terme
La plupart des pays européens ont transformé leur modèle économique et social pour le rendre plus efficace et sont ainsi mieux armés face au mur d'investissements qui se profile. Pas la France. Après 20 ans d'alertes sur le décrochage économique et la dérive des comptes publics, il est temps de changer de politique pour rejoindre le consensus européen en faveur de l’innovation, de la production et, in fine, de l’intérêt des Français. C'est le vœux des économistes et chefs d'entreprises réunis au sein du Front économique initié par le Medef. Ils livrent dans cette tribune 35 recommandations de réforme.
Notre point de départ tient en quelques mots: vingt ans trop tôt en Europe, vingt ans trop tard en France. Le modèle d’État stratège et de politique industrielle forte, promu de longue date par les gouvernements français successifs au sein d’une Europe pensée autour du libre-échange et de la paix, est devenu l’horizon de travail de pays européens bousculés par la pandémie, la guerre en Ukraine, la deuxième présidence Trump et la stratégie de prédation industrielle chinoise. Mais si nos voisins et l’Union européenne elle-même peuvent envisager une telle bascule politique, c’est qu’ils ont mené, depuis trente ans, les réformes structurelles et les réorientations budgétaires nécessaires au financement de leur industrie et de leur défense.
En appelant à la fin de la naïveté européenne, la France a eu raison 20 ans avant ses partenaires, en n’adoptant pas leur gestion raisonnable des finances publiques, elle réalise que les choix d’aujourd’hui se préparaient il y a 20 ans.
Notre pays est ainsi à l’origine d’une politique économique qui fait aujourd’hui consensus en Europe mais qu’il ne peut plus poursuivre faute d’avoir agi à temps. En appelant à la fin de la naïveté européenne, la France a eu raison vingt ans avant ses partenaires, c’est-à-dire trop tôt ; en n’adoptant pas leur gestion raisonnable de ses finances publiques, elle prend conscience trop tard que les choix d’aujourd’hui se préparaient il y a vingt ans. Résultat de cette politique à contretemps: nous regardons avec envie une Allemagne qui annonce des centaines de milliards d’euros d’investissement dans ses armées et ses infrastructures, et une Union européenne qui évolue, à pas comptés, sur les positions françaises historiques, sans que nous ne puissions y prendre, nous aussi, une part active.
Notre parti pris tient ainsi également en quelques mots: maintenant que l’Europe "francise" sa politique stratégique et industrielle, la France doit "européaniser" sa politique économique et budgétaire. S’il n’y a jamais eu d’exceptionnalisme économique français, celui-ci joue désormais contre l’intérêt économique du pays: admettons que nos voisins peuvent servir d’exemples qu’il s’agisse d’affronter le défi de finances publiques dégradées, comme au Portugal, ou celui de la rénovation de son modèle social, comme au Danemark.
En croisant les travaux récents de la recherche et les bonnes pratiques de nos partenaires européens, cette pièce de doctrine entend ouvrir une voie pour faire passer notre pays d’une économie de rattrapage à une économie d’innovation, et contribuer ainsi utilement au débat public économique. Après tout, s’il est trop tard pour être en avance, il ne l’est pas pour agir. (...)
Ni la France, ni les Français n’ont intérêt au statu quo économique sauf à se résigner au déclassement et à se tenir à l’écart du "Nouveau Consensus européen". Tant que notre pays pouvait se financer à crédit, l’équilibre d’une croissance ralentie, d’une mobilisation incomplète du travail, d’une fiscalité parmi les plus élevées d’Europe et de dépenses sociales supérieures à toutes les économies équivalentes était précaire, inefficace, et injuste pour les futures générations mais il pouvait durer — très artificiellement. Notre ratio d’endettement et le différentiel de richesse par habitant qui se creuse avec nos partenaires, ont fini de rendre cet équilibre impossible. Ce désajustement alimente un cercle vicieux entre croissance affaiblie, prélèvements accrus et décrochage durable.
Trois options se dessinent. La première consiste à réduire de manière significative le périmètre et le volume de notre protection sociale. Si des économies sérieuses sont impératives, une telle révision menée sans autre réforme structurelle serait sous-optimale et impopulaire. La seconde repose sur une augmentation supplémentaire et continue des prélèvements, qui mènerait au décrochage définitif de l’activité, de l’investissement et des revenus. La troisième consiste à élever durablement notre richesse par habitant. C’est celle-ci que nous privilégions.
Pour cela, trois renversements sont à mener par rapport aux politiques économiques mises en place depuis vingt ans au moins :
Le premier est celui de la production et de son efficacité. Il suppose un environnement propice aux entreprises et à l’innovation, à un effort accru de réindustrialisation, et à une allocation plus efficiente des facteurs de production. Passer d’une économie de rattrapage à une économie de l’innovation demande du temps et implique d’investir dans l’éducation, une fiscalité des entreprises compétitive, une simplification normative, et d’utiliser des leviers européens quand ils existent.
Le deuxième renversement est celui de l’élévation du taux d’emploi. En période de faibles gains de productivité, l’économie française ne pourra ni financer son niveau de dépenses, ni assurer des revenus plus élevés, sans une participation accrue au marché du travail. Trois segments de population doivent faire l’objet d’une attention particulière : les seniors, dont le taux d’emploi reste très inférieur à la moyenne européenne ; les jeunes, trop nombreux à connaître des débuts de parcours discontinus ; et les personnes faiblement qualifiées, souvent exclues durablement de l’emploi faute d’accompagnement adapté ou d’exigences explicites en matière de réinsertion.
Le troisième renversement est celui de la consolidation des finances publiques. Dans un contexte où les besoins de financement liés à la transition énergétique, à la souveraineté industrielle ou à la défense sont appelés à croître, il est impératif de reprioriser l’action publique et de retrouver des marges budgétaires sans délai. Cela suppose une réduction massive et sélective de la dépense, ciblée en particulier sur les postes où l’écart avec les standards européens est le plus marqué — y compris pour les redéployer en partie là où l’investissement productif est nécessaire.
C’est par ces trois renversements — production, mobilisation du travail, réallocation budgétaire — que la France s’inscrira dans le "Nouveau Consensus Européen" et sortira de son contretemps économique.
> Lire la suite sur le site du Grand continent
Le Nouveau Consensus européen et le contretemps français
Le Grand continent, 29 août 2024
Après plusieurs mois de travail, une centaine d'experts, d’universitaires et de dirigeants d’entreprise proposent une pièce de doctrine pour provoquer un sursaut.Les 35 recommandations du Front économique pour en finir avec "le contretemps français".
Article signé par :
Philippe Aghion, Anne-Sophie Alsif, Patrick Artus, Antonin Bergeaud, Joël-Alexis Bialkiewicz, Lorenzo Bini Smaghi, Eric Bismuth, Sophie Boissard, Dominique Calmels, François Candelon, Vincent Charlet, Charles-Henri Colombier, Emmanuel Combe, Julien Damon, Marc de Basquiat, Godefroy de Bentzmann, Hubert de Boisredon, Pierre-André de Chalendar, Jean-Luc Demarty, Rodolphe Desbordes, David Djaïz, Flora Donsimoni, Alain Durré, François Ecalle, Hakim El Karoui, Denis Ferrand, Angeles Garcia-Poveda, Laurent Giovachini, Thomas Grjebine, Christian Gollier, Marc Gomes, Camille Guezennec, Hervé Guillou, Éric Hazan, Christine Hennion, Arthur Jurus, Patrick Koller, Erwan Le Noan, Victor Lequillerier, Jean-Pierre Letartre, Patrick Levy Waitz, Patrick Martin, Bertrand Martinot, Ross McInnes, Franck Morel, Anthony Morlet-Lavidalie, François-Xavier Oliveau, Thomas Philippon, Thomas Rapp, Simon Ray, Olivier Redoulès, Robin Rivaton, Maxime Sbaihi, Erell Thevenon, Raphael Trotignon, Arnaud Vaissié, Philippe Varin
> Les études Rexecode citées dans cet article:
- La durée effective du travail en France et en Europe en 2023, et la quantité de travail dans l’économie, Rexecode, Olivier Redoulès, Document de travail, décembre 2024
- Aides aux entreprises: de quoi parle-t-on ?, Rexecode, Olivier Redoulès, Repères N.7, juillet 2023
- Pour une nouvelle philosophie des politiques publiques de décarbonation, Rexecode, Raphaël Trotignon, Repères N.14, mars 2025
Rexecode dans les instances
Documents de travail
Repères de politique économique
Repères de politique économique