Entre les Etats-Unis, bien décidés à attirer massivement les investissements industriels, et la Chine, plus que jamais en quête de nouveaux marchés, l'Europe est sous pression. La France est quant à elle d'autant plus vulnérable que la restauration de sa compétitivité industrielle au sein de l'Union européenne est loin d'être achevée. Alors que la nécessité de la réindustrialisation a fini par s'imposer, comme celle de redresser les comptes publics, il manque encore à la France une vision stratégique fondant un large consensus en faveur des politiques d’avenir (compétitivité, recherche, décarbonation).

Entre le marteau de la politique américaine d’attractivité et l’enclume de la stratégie chinoise de prédation de parts de marché, l’espace de respiration se raréfie pour l’industrie européenne. La France, déjà en queue de peloton industriel de l’Europe, est particulièrement vulnérable. Pourtant, pénuries et difficultés d’approvisionnement aidant, la perception de l’industrie par nos compatriotes a radicalement changé en une décennie à peine, conduisant à un quasi-unanimisme désormais du monde politique rangé derrière la bannière de l’industrie. 

La première prise de conscience véritable, impulsée en 2012 par le rapport Gallois, avait fini par porter ses fruits avec, quelques années plus tard, l’adoption de mesures concrètes en faveur de la compétitivité. C’est dans ce contexte qu’a émergé, un peu hâtivement, le terme de "réindustrialisation". Ce tournant de l’offre a marqué une réelle inflexion. Entre 2016 et 2024, l’investissement en volume réalisé par l’industrie a progressé de 25%, alors qu’il avait stagné entre 2000 et 2016. Mieux encore, l’industrie a créé 120.000 emplois nets sur la période, interrompant une érosion continue depuis les années 70. 

Ces signes encourageants s’essoufflent toutefois. Les menaces nées du contexte international, l’ombre portée de la crise énergétique passée, les efforts effectués par les autres pays européens qui ne sont pas restés inertes fragilisent un processus qui à bien des aspects est resté au milieu du gué. 

Le tournant de l’offre a marqué une réelle inflexion pour l'industrie en France mais le processus de restauration de sa compétitivité est resté au milieu de gué par bien des aspects

Ainsi en est-il de la réduction des impôts de production, ces prélèvements qui frappent l’activité avant même qu’elle n’ait dégagé un résultat. En dépit de baisses passées, l’ensemble constitué par les cotisations employeurs et les impôts de production acquittés par l’industrie, nets des aides reçues sous forme de subventions d’exploitation, sont d’un montant équivalent à 18% de la valeur ajoutée du secteur. Cette proportion est de 11% en comparaison en zone euro comme en Allemagne, 12% en Italie, 13% en Suède. 

Un peu inférieur à celui relevé en Allemagne, le coût d’une heure de travail dans l’industrie manufacturière dépasse d’un peu plus de 16% celui en vigueur en zone euro, un écart qui a peu bougé au cours des vingt dernières années sans que le niveau de productivité de l’industrie française puisse lui conférer un avantage marqué par rapport à ses compétitrices européennes.

L’accès au foncier, l’automatisation sont également critiques. Le délai moyen nécessaire pour obtenir une autorisation d’implantation d’une usine en France est de 17 mois: c'est deux à trois fois plus long qu'en Allemagne et dans les autres pays d’Europe du Nord selon le rapport Guillot. La robotisation est pour sa part clairement en retrait en France, avec moins de 200 robots installés pour 10.000 emplois industriels, soit moins de la moitié qu'en Allemagne et à peine supérieur à la moyenne mondiale. 

Des points d’appui existent pourtant, avec en premier lieu une capacité de production d’une énergie électrique abondante et décarbonée, mais aussi une imbrication accrue entre recherche publique et entreprises industrielles au travers notamment des programmes LabEx. Mais la surfiscalisation du travail qualifié crée un handicap de compétitivité-coût croissant à mesure de la progression dans l’échelle des salaires, freinant la montée en gamme vers des activités industrielles plus rémunératrices.

Près de 15 ans après le virage du rapport Gallois, nous restons orphelins d’une vision sur l’avenir de l’industrie française, d’une stratégie à son service et d’un plan d’action.

Près de 15 ans après le virage du rapport Gallois, nous restons orphelins d’une vision sur l’avenir de l’industrie française, d’une stratégie à son service et d’un plan d’action responsabilisant acteurs publics et privés. Une manifestation de cette convergence serait, par exemple, un consensus politique large permettant de sanctuariser et renforcer les politiques d’avenir – décarbonation, recherche et compétitivité au moment où un effort de maîtrise des comptes publics s’avère incontournable. Nos difficultés à avancer sur le basculement de charges de la production vers la consommation reste un indicateur puissant de notre indécision. Pourtant, un renouveau industriel en France génèrerait un triple dividende: économique, social et environnemental.
 

> L'industrie française entre le marteau et l'enclume - Chronique de Denis Ferrand parue dans les Echos, le 30 mai 2025