Focus
Perspectives économiques à court terme
La hausse du taux d’emploi a été significative en France depuis son point bas de 2014, mais elle n'a pas permis de créer suffisamment de richesse pour endiguer la dérive du déficit public par rapport au PIB. Les dépenses du "quoi qu'il en coûte" sont passées par là, mais surtout, la spécialisation française dans des emplois faiblement rémunérés s’est significativement renforcée. Le résultat d'un système socio-fiscal qui sanctuarise le bas de l’échelle des salaires et pénalise les emplois les plus qualifiés.
La cause semble à la fois juste et entendue: la hausse du taux d’emploi de la population en âge de travailler est le principal levier d’une amélioration structurelle des finances publiques au-delà des jeux de bonneteau fiscaux et budgétaires. L’augmentation de la quantité de travail permet l’accroissement de la richesse créée et donc de la base à partir de laquelle le financement des interventions de la puissance publique est viable.
Pourtant, pour tenir cette position, il est nécessaire de lever un paradoxe et d’expliquer pourquoi la hausse du taux d’emploi intervenue depuis dix ans et le tournant de la politique favorable à l’offre productive n’a pas empêché la dérive persistante des comptes publics. De fait, depuis un point bas touché en 2014, la proportion de la population en âge de travailler qui est en emploi a gagné six points pour atteindre 69,5%. Le niveau d’endettement public a quant à lui progressé de 17 points de PIB. La hausse du taux d’emploi n’a donc pas tenu sa promesse d’amélioration des comptes publics.
Une première explication tient à ce que les baisses de prélèvements obligatoires décidées à partir de 2014 pour alléger le fardeau illustré par le ras-le-bol fiscal de 2012-13 n’ont pas été financées par une baisse des dépenses publiques. Les interventions massives et successives face à la pandémie de Covid-19, puis face au choc des prix de l’énergie, ont aussi laissé une empreinte durable sur le niveau de la dette.
Près des trois quarts des emplois créés depuis 2014 en France l’ont été dans des secteurs d’activité moins rémunérateurs que la moyenne
Mais une seconde explication est à rechercher dans le type d’emplois créés: la spécialisation française dans des emplois faiblement rémunérés s’est significativement renforcée durant cette période. En effet, 71% des emplois créés depuis 2014 l'ont été dans des secteurs d’activité dont le salaire moyen par tête est inférieur au salaire moyen de l'ensemble des secteurs, soit une proportion supérieure de dix points à leur poids dans l’emploi total en 2014.
Le système socio-fiscal français sanctuarise le bas de l’échelle des salaires, et pénalise fortement les rémunérations les plus élevées
Cette situation procède notamment de la politique de préservation de l’accès à l’emploi pour les travailleurs les moins qualifiés au moyen des mécanismes d’allègements de cotisations sociales adoptés depuis le début des années 1990. Ceux-ci neutralisent la hausse du coût du travail résultant mécaniquement des hausses passées du SMIC et de celle des taux de cotisations de droit commun qui visaient à faire face à des dépenses sociales croissantes.
Les allègements de cotisations représentent désormais une moindre recette théorique de l’ordre de 75 milliards d’euros. Ils reflètent la prise en charge croissante par l’impôt ou par le budget général de l’Etat de la dépense sociale originellement financée par les cotisations. Ils aboutissent à une très forte progressivité des prélèvements sociaux. La France connaît ainsi le plus faible coin socio-fiscal (l’écart entre le salaire chargé et le salaire nets d’impôts et de cotisations) des pays européens pour les salaires les plus bas. En revanche, il est le plus élevé dès lors que l’on franchit le seuil de 2,5 SMIC.
Après 30 ans d'allégements concentrés sur les bas salaires, le taux d'emploi des moins qualifiés en France reste le plus faible des grands pays européens
Quel rapport avec les comptes publics ? Outre la forte inflation du coût des allègements, en contribuant à favoriser l’emploi faiblement qualifié et en bridant l’emploi très qualifié à la compétitivité érodée, ce système produit un rendement fiscal et social médiocre. La recette par emploi décroît à mesure que sa structure se déplace vers le travail faiblement rémunéré. Pire il n’a pas amélioré l’insertion du public pour lequel il avait été façonné. En France, le taux d’emploi des personnes âgées de 20 à 64 ans ayant le plus faible niveau de formation initiale est le plus bas des pays européens comparables et il a stagné à 55% tout au long des 30 ans de politique d’allègements de cotisations concentrés au bas de la distribution des salaires.
Pour que l’association entre hausse du taux d’emploi et maîtrise des comptes publics continue d’aller de soi, repenser l’ampleur de la progressivité des prélèvements sur le travail est devenu incontournable. Augmenter le taux d’emploi, c’est bien, augmenter le taux d’emploi qualifié c’est mieux encore ! Pour les comptes publics bien sûr, mais surtout, pour l’épanouissement de chacun dans le travail comme pour permettre à nouveau des trajectoires d’ascension sociale beaucoup plus nombreuses.
Chronique de Denis Ferrand
Emploi et déficit public, la grande divergence
Les Echos du 20 octobre 2025
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