Focus
Synthèse conjoncturelle hebdo
Invité par la commission de l'Assemblée Nationale "chargée d’identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l’industrie dans le PIB de la France et de définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l’industrie et notamment celle du médicament", Emmanuel Jessua a présenté les grandes lignes des travaux de Rexecode sur les origines de la désindustrialisation relative du territoire français et les enjeux de la compétitivité.
• Le recul relatif de l'industrie est un phénomène global non spécifique à la France
Un indicateur souvent commenté est la diminution de la part de l’industrie dans la valeur ajoutée et dans le PIB, mais à cette aune le cas de la France n’est pas spécifique. En effet, il y a une tendance mondiale, historique, au recul des activités industrielles dans l’activité totale des différents pays et, du fait des forts gains de productivité du secteur, de la part de l’emploi industriel dans l’emploi total. Dans le même temps, la part des produits industriels dans la demande reste stable, voire décline.
• Plus pertinent: comparer la France aux autres grands pays de la zone euro
La perte de terrain face la concurrence des pays émergents et en particulier de la Chine n’est pas non plus spécifique à la France, c’est pourquoi Rexecode privilégie la comparaison des performances de la France par rapport à ses principaux voisins de la zone euro plutôt qu'à l'ensemble de ses concurrents mondiaux. Cette comparaison présente deux avantages: d’une part, les pays de la zone euro sont sensés être à un stade de développement similaire (proche de la frontière technologique), d’autre part, ils partagent la même monnaie depuis plus de 20 ans. L’analyse de la compétitivité n’est donc pas "polluée" par la question du change et les politiques de dévaluation.
• En 20 ans, la France apparaît comme la grande perdante des redistributions considérables de l’activité industrielle au sein de la zone euro
L’Allemagne, c’est connu, est la grande gagnante. En 2000, la valeur ajoutée de l’industrie manufacturière allemande représentait 35,4% de la valeur ajoutée manufacturière totale de la zone euro, elle était passée à 38,1% en 2019. A l'inverse, la part de la France est passée de 17,5% à 13,8% sur la même période. La part de l’Espagne a légèrement baissé et l’Italie a connu une diminution moitié moindre que la France. La France accuse donc le recul industriel relatif le plus fort des grands pays de la zone euro.
Par ailleurs la symétrie est frappante avec la perte de parts de marché des exportations françaises de biens dans celles de la zone euro. Les parts de marché françaises sont passées d'environ 17% du total de la zone euro en 2000 à 13% en 2019, soit les mêmes ordres de grandeur que pour l'activité industrielle.
• A l'origine de la perte de compétitivité et de tissu industriel : la divergence des coûts
Au début des années 2000, l’Allemagne fait un effort important de modération du coût du travail par la négociation. De son côté, la France a mené une politique assez uniforme de réduction du temps de travail qui s'est traduite par une hausse du coût horaire du travail, amplifiée ensuite par la convergence des SMIC jusqu’au milieu des années 2000.
Cette divergence des coûts a entrainé l'accélération des pertes de parts de marché à l’export de la France relativement à l’Allemagne et dans une moindre mesure à la moyenne de la zone euro, ainsi qu'un recul de l’activité industrielle. Elle n’a commencé à se résorber que sous le quinquennat Hollande sous l’effet des allègements du coût du travail et d’une accélération des salaires en Allemagne. Mais la perte commerciale et industrielle est là et tout l’enjeu sera de la récupérer. Il est important de noter que ce recul relatif s'observe dans toutes les branches industrielles (agroalimentaire, textile, automobile, machines et équipements, etc.) à l'exception de l’aéronautique.
La vidéo de l''intervention d'Emmanuel Jessua à la Commission d'enquête sur la politique industrielle, est disponible sur le site de l'Assemblée Nationale
Assemblée Nationale, Commission d'enquête sur la politique industrielle :
21/09/2021 (18h) -Table ronde de représentants des cercles de réflexion et organismes d’expertise en matière économique.
Avec : François Lévêque, professeur d’économie au Centre d'économie industrielle (CERNA) de Mines ParisTech, Emmanuel Jessua, directeur des études de Rexecode, Xavier Ragot, professeur d’économie à l’Institut d’études politiques de Paris, président de l'OFCE, Mathieu Plane, directeur-adjoint du département Analyse et prévision de l’OFCE, Anaïs Voy-Gillis, chercheuse associée au sein du Centre de recherches sur les économies, les sociétés, les arts et les techniques (CRESAT) de l’université de Haute Alsace et consultante.