Focus
Synthèse conjoncturelle hebdo
La productivité horaire française a décroché de 8,5% par rapport à sa tendance pré-Covid, estime la Banque de France. Alternatives économiques propose un entretien croisé sur les explications et les conséquences économiques de ce phénomène, avec Olivier Redoulès, directeur des Etudes de Rexecode et Thomas Zuber, économiste à la Banque de France. Olivier Redoulès revient notamment sur les conclusions de son étude sur l'évolution de la productivité et des salaires depuis 2019, parue en octobre 2023.
Olivier Redoulès: Tout dépend de la nature de la baisse de productivité. La productivité est un rapport entre une production, mesurée soit par la valeur ajoutée soit par le produit intérieur brut (PIB), et une quantité de travail, capturée par le nombre d’heures travaillées ou nombre de personnes qui travaillent. Ce n’est pas la même chose si la baisse de productivité vient d’une baisse de la quantité produite ou d’une augmentation de la quantité de travail pour arriver à cette production.
Dans le premier cas, cela signifie que vous avez perdu des capacités de production. Donc que le gâteau à partager est plus petit. On l’a observé temporairement pendant les périodes d’arrêt de production dans certains secteurs, liées aux mesures sanitaires, car on a moins produit alors que les emplois ont été en partie maintenus, notamment grâce au chômage partiel. C’est le cas aussi ponctuellement chez EDF lorsque des centrales nucléaires sont à l’arrêt pour maintenance, réduisant mécaniquement la quantité d’électricité produite. Lorsque les pertes de production sont pérennes, elles affectent négativement le niveau de vie de la population. Une partie de la perte observée depuis 2019 devrait entrer dans ce cas de figure.
Deuxième option : la baisse de productivité peut venir de l’augmentation de la quantité de travail. C’est positif car, même si les nouveaux entrants sur le marché du travail sont moins productifs au début, ils participent tout de même à augmenter la production globale. Et, surtout, vous faites le pari qu’au fur et à mesure, leur productivité se rapprochera de la moyenne des travailleurs, ce qui augmentera d’autant le gâteau à partager à la fin. En matière de production globale, de capacité à investir, et de niveau de vie, c’est positif.
Il se trouve qu’en France, ces deux effets ont joué dans la baisse de productivité. Mais l’un plus que l’autre. D’après nos hypothèses, 80 % de la perte de productivité depuis 2019 pourrait s’expliquer par l’enrichissement de la croissance en emploi. Le reste proviendrait d’une baisse de la quantité produite, sous l’effet de pertes de capacités productives.
OR - Ce calcul de l’efficacité productive permet de répondre à une question : est-ce qu’on a mieux utilisé notre potentiel productif ? La réponse est oui, on l’a mieux utilisé a priori en 2023 qu’en 2019. Mais il est plus pertinent de s’intéresser à la productivité horaire pour comprendre l’évolution des salaires moyens, par exemple.
OR - L’évolution du salaire moyen dépend des évolutions de la productivité horaire, des heures travaillées, de la part des salaires dans la valeur ajoutée (par rapport au capital), du niveau des prix et du poids des cotisations employeurs. Depuis 2019, la baisse de la productivité explique une partie de la perte de pouvoir d’achat des salaires.
Sauf que l’efficacité des Français au travail n’a pas forcément diminué ces dernières années: bien d’autres facteurs expliquent la baisse de productivité. Alors est-ce que cela reste cohérent que l’évolution des salaires suive celle de la productivité ?
Depuis 2019, le salaire moyen par tête augmente moins fortement que l’inflation. Mais la productivité n’est pas le seul déterminant de l’évolution des salaires. Cette tendance résulte en grande partie de la nature et de l’importance des créations d’emplois depuis 2019. On a embauché principalement dans des secteurs relativement moins productifs, et des profils de travailleurs moins qualifiés. C’est le cas, par exemple, des apprentis, qui sont entrés sur le marché du travail avec des salaires plus bas que la moyenne.
La baisse des salaires réels est aussi liée à l’inflation, à l’augmentation de nombreuses matières premières que nous importons, et à la hausse du coût du transport maritime dans la foulée de la pandémie. Résultat, les salariés ont vu les prix augmenter plus vite que leurs salaires, ce qui a engendré des pertes de pouvoir d’achat. Le fait que l’inflation soit importée explique ce décalage dans le temps entre l’évolution des prix et des salaires. Mais on a désormais un phénomène de rattrapage : les salaires négociés en 2023 augmentent maintenant dans des proportions similaires à l’inflation.
Propos recueillis par Juliette Le Chevallier
Baisse de la productivité des Français: est-ce vraiment grave ?
Alternatives économiques, 6 février 2023
L'interview complète d'Olivier Redoulès et Thomas Zuber, économiste à la Banque de France est disponible sur le site d'Alternatives économiques