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Documents de Travail (couverture)

Documents de travail

Des rapports publics pour le débat de politique économique

En accès libre, les documents de travail présentent des analyses issues de travaux approfondis, principalement sur des questions de politique économique touchant l'appareil productif.

Voir aussi :

- Repères, des notes visant à nourrir le débat sur la politique économique et la transition écologique.

- A Noter, des analyses succinctes sur un chiffre ou une question économique.

Par thème :

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Les freins à la progression des salaires: enquêtes sur l'impact des dispositifs socio-fiscaux en France

- Juin 2024

19/06/2024

Depuis 2021, le tassement des échelles salariales sous l’effet des hausses successives du salaire minimum face à l'inflation a suscité des débats sur les freins à la progression des salaires, et notamment sur les effets dissuasifs des dispositifs socio-fiscaux autour du SMIC. Deux enquêtes auprès des entreprises permettent de conclure que ces dispositifs renforcent plus qu'ils ne créent des freins à la progression salariale, ces derniers étant d'abord liés aux caractéristiques de l'entreprise.

photo Darett Ephh, Unsplash

En France, plus de 17% des salariés du secteur privé étaient concernés par une revalorisation du SMIC au 1er janvier 2023. Il s'agit de la plus forte proportion depuis 2005, ce qui amène au premier plan la question de l’écrasement des échelles salariales et des freins potentiels à la progression des salaires. L'analyse menée par Rexecode sur la base d'enquêtes montre qu'en tout état de cause, les dispositifs socio-fiscaux renforcent plus qu'ils ne créent des freins à la progression salariale. Ces derniers sont davantage liés au secteur d’activité de l’entreprise, aux relations avec les clients et donneurs d’ordre, et à l’organisation du partage de la valeur au sein de l'entreprise. Par ailleurs, les choix des salariés, parfois contraints ou mal informés, peuvent également les maintenir sur des trajectoires salariales peu dynamiques.

L'écart entre le coût de la hausse du salaire pour l'entreprise et son bénéfice net pour le salarié va croissant au voisinage du SMIC

Le rôle potentiel des dispositifs socio-fiscaux autour du SMIC comme frein à la progression salariale a été identifié dans le débat économique dès leur mise en place au début des années 1990. Ces dispositifs (prélèvements sociaux et fiscaux, allègements, prime d'activité, prestations, etc.) déterminent le "coin socio-fiscal". Il s'agit de l’écart entre (1) le coût du travail supporté par l’employeur et (2) le revenu disponible net de prélèvements (cotisations, impôts) et après transferts (prime d’activité, APL, autres aides) perçu par le salarié.

Pour une personne seule, le coin "socio-fiscal" augmente graduellement de 15% au niveau du SMIC, jusqu’à 53% au niveau de 3 fois le SMIC. Le profil croissant du coin socio-fiscal à proximité du SMIC créé, en théorie, un risque de freins à la progression salariale. L’effet de freinage provient du décalage entre le bénéfice net que le salarié retire en revenu disponible d’une revalorisation salariale d’une part, et la hausse du coût salarial que celle-ci fait supporter à l’entreprise d’autre part. Dit autrement, la revalorisation salariale nécessite une hausse de valeur ajoutée de l’entreprise disproportionnée par rapport au bénéfice qu’en retire le salarié, à partage de la valeur ajoutée inchangé.

Les "trappes à bas salaires" concerneraient une minorité d'entreprises et de salariés au vu de l'étude de terrain

Les évaluations économétriques sur l’impact des allégements sur la distribution des salaires et la dynamique salariale n'ont jusqu'ici ni confirmé ni infirmé de manière décisive l’existence de "trappes à bas salaires". L'étude de Rexecode, réalisée à la demande du HCFiPS1, a pour objectif le "recueil d’éléments d’analyse directement auprès d’entreprises, afin de confronter leurs stratégies salariales effectivement mises en place aux perceptions qu’elles pourraient avoir des différents mécanismes susceptibles de freiner la progression des salaires". Elle est basée notamment sur deux sondages et deux séries d’auditions menées auprès d’entreprises, d’organisations patronales et d’organisations syndicales.

- Rexecode conduit chaque trimestre avec Bpi France le Lab une enquête auprès des PME et TPE dans le cadre du baromètre "Trésorerie, investissement et croissance des PME/TPE". Le baromètre de février 2024 comportait plusieurs questions spécifiques sur la dynamique salariale et les freins à la progression salariale. Les TPE/PME qui déclarent être régulièrement confrontées à des freins à la progression salariale représentent 15% des effectifs salariés de l’ensemble de l'échantillon. Les TPE/PME qui identifient comme frein principal aux hausses de salaire l’augmentation du coût du travail liée à la diminution d’allègements de cotisations patronales représentent 8% des effectifs salariés de l’échantillon total

- Rexecode a mené un sondage auprès des entreprises adhérentes du Medef, de l’U2P et de la CPME Paris Île-de-France, sous la forme d’un questionnaire électronique auto-administré. Compte tenu du mode de diffusion du sondage, il était attendu que les entreprises davantage concernées par les freins à la hausse des salaires soient surreprésentées dans les réponses.

Les répondants se déclarant confrontés à des freins réguliers à la progression salariale au voisinage du SMIC représentent 37% des effectifs de l’ensemble des répondants. Les entreprises qui jugent que la diminution des allègements de cotisations freine la progression salariale au voisinage du SMIC représentent 16% des effectifs.

Les deux motifs les plus forts de freins, cités chacun par 67% des répondants, sont les contraintes financières et économiques (marges, trésorerie), et la difficulté à répercuter le coût salarial supplémentaire dans les prix. Les entreprises qui citent la diminution des allègements de cotisation se retrouvent majoritairement parmi celles qui identifient ces deux premiers freins, et inversement.

- Enfin, les acteurs auditionnés soulignent l’importance de facteurs liés à l’activité dans l’émergence de freins à la progression salariale, le coin socio-fiscal jouant un rôle amplificateur.

Le profil des entreprises et des salariés les plus concernés

L'enquête réalisée avec l'aide des organisations patronales permet d'affiner l'analyse s'agissant des entreprises confrontées à des freins aux hausses de salaires.

- Une forte corrélation apparait entre les situations de freins à la progression salariale (liés aux allègements, à la hausse de la durée du travail pour des raisons de coin socio-fiscal ou à la promotion) et la forte proportion de salariés durablement au SMIC dans l'entreprise.

- Le lien entre dispositifs socio-fiscaux et freins à la progression salariale met en jeu (1) des dimensions sectorielles, les entreprises à forte intensité en main d’œuvre peu qualifiée et aux marges faibles étant davantage concernées, (2) des situations de concurrence forte ou de prix administrés, (3) une forte substituabilité des salariés, et (4) des choix individuels. Les choix des salariés peuvent être influencés par les dispositifs sociaux-fiscaux, lesquels renforcent l’effet désincitatif du tassement des grilles sur la mobilité socio-professionnelle.

- La perte d’aides publiques par les salariés est un motif d’insatisfaction bien identifié, même s’il vient après la hausse du coût de la vie et le rattrapage par les niveaux de salaires inférieurs.

Faire de la décarbonation un levier de croissance: la France face aux stratégies mondiales pour le climat

- Avril 2024

23/04/2024

Face au changement climatique, la décennie actuelle est cruciale. D'ici 2030, la Chine, les Etats-Unis et l'Europe devront accélérer fortement l'effort de réduction de leurs émissions carbone. Cela exige des investissements massifs à un moment où la France accumule les contre-performances économiques. La bonne stratégie est de construire une politique de l’offre pour le climat afin d’enclencher un cercle vertueux alliant décarbonation, compétitivité et croissance.

Tendances annuelles des émissions passées (2005-2021) et futures (2021-2050) de Co2 France, Union européenne, Etats-Unis, Chine  (en %)

Sans un "changement radical" l’Europe n’aura pas les moyens de faire face aux grandes transitions en cours, transition écologique en tête: le rapport sur le marché unique d’Enrico Letta et ce que l’on sait du prochain rapport sur la compétitivité de Mario Draghi convergent sur ce constat. Pour atteindre leurs objectifs climatiques, la France comme l’Europe doivent investir massivement et doubler à l’avenir le rythme de réduction des émissions de CO2. Or, l'Europe perd du terrain en termes de compétitivité et de productivité, tandis que la France accumule du retard sur l’ensemble des critères de performance économique.

Conscient de ce défi, le pôle Climat de Rexecode a conduit une comparaison en profondeur des politiques climatiques des Etats-Unis, de la Chine, de l’Union européenne et de la France en tenant compte de leur interaction avec la performance économique. Les conclusions présentées dans notre document de travail montrent que, sans attendre les changements promis pour l’Union européenne, une priorité pour la France est de retrouver le chemin d’une croissance plus soutenue et plus équilibrée. Nous formulons plusieurs propositions dans ce sens.

Une décennie critique pour atteindre le zéro émission nette d'ici 2050 afin de limiter le réchauffement climatique

En 2021 et 2022, pour la première fois depuis l’Accord de Paris (2015), la Chine, les pays européens et les Etats-Unis, ont affiché explicitement leurs objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre (Nationally Determined Contributions ou NDC). Ces objectifs convergent sur une réduction à zéro des émissions nationales d'ici 2050 (2060 pour la Chine).

Pour atteindre leurs objectifs, tous reconnaissent qu’il faudra accélérer fortement le rythme de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Les Etats-Unis devront multiplier le rythme par 5. La Chine devra stabiliser le niveau de ses émissions avant 2030, puis le réduire de près de 10% par an. L'Union Européenne et la France devront plus que doubler la tendance antérieure. Et il faut agir rapidement car tant que le flux d’émissions est positif, le CO2 s’accumule dans l’atmosphère et accentue le réchauffement climatique. Ces constats font clairement apparaître le caractère critique de la décennie actuelle.

Les faiblesses économiques pourraient limiter la marge d'action et d'investissement en Europe, plus encore en France

Les performances économiques européennes, qui n’étaient pas défavorables, sont aujourd’hui menacées. Au cours des deux dernières décennies, la progression du PIB moyen par européen a été la même que celle du PIB moyen par américain, et l’Union européenne dégageait un excédent commercial extérieur proche celui de la Chine. En revanche, l'Europe perd du terrain en productivité et sa compétitivité est de plus en plus remise en cause. Elle est en outre confrontée à des prix de l’énergie près de deux fois plus élevés qu’aux Etats-Unis et en Chine. Une partie des écarts de prix vient des différences d’exposition aux sources d’énergies fossiles mondiales, l'autre des politiques de tarification du carbone.

Sur le plan des émission de gaz à effet de serre (GES), la France avait plutôt pris de l’avance sur la moyenne européenne grâce à l’électricité nucléaire. Mais cet écart se réduit, et surtout, la France accumule du retard sur l’ensemble des critères de performance économique: moins de croissance par habitant (0,8% par an sur la décennie 2013-2023 contre 1,6% par an pour la moyenne européenne et les Etats-Unis), une productivité globale des facteurs en recul, un déficit extérieur structurel qui reflète un recul de compétitivité, peut-être enrayé mais pas encore inversé, et un déficit des finances publiques parmi les plus élevés d’Europe. Cette situation limite fortement les marges de l’action climatique de la France.

Des stratégies de décarbonation plus favorables à la croissance en Chine et aux Etats-Unis qu'en Europe

Etats-Unis, Chine et Union européenne, convergent sur les objectifs de décarbonation. Ils divergent sur les stratégies mises en oeuvre, qui paraissent moins favorables à la croissance en Europe et en France.

Les Etats-Unis ont engagé une stratégie globale qui intègre les mesures climatiques dans la politique économique et sociale. Cette stratégie s’est concrétisée dans plusieurs lois récentes: la loi Infrastructures (2021), la loi Chips and Science Act (2022), et surtout l’Inflation Reduction Act (2022) dont le volet climat prévoit de nombreux crédits d’impôt pour les projets vraiment américains en termes d’implantation territoriale et de contenus technologiques. L’impact des politiques incitatives s’est vu très vite: les dépenses de constructions industrielles aux Etats-Unis ont plus que doublé entre 2021 et 2023.

En Chine, la politique climatique fait partie de la politique globale dont les axes principaux sont d’ordre industriel et géopolitique. La stratégie de la Chine s’inscrit dans une longue tradition de planification et un fort engagement public dans l’orientation des investissements. Le résultat est que la Chine a conquis des positions dominantes sur le marché mondial des énergies renouvelables et dans certaines technologies climatiques comme les batteries pour véhicules électriques.

L’Union européenne a choisi comme pierre angulaire de décarbonation le système d’échange de quotas d’émissions (Seqe UE ou EU ETS). En imposant aux industriels d’acheter autant de quota qu’ils émettent de tonnes de carbone, le système incite les industriels à investir dans des process moins émetteurs de carbone. Le revers de la médaille est que le prix du carbone, dix fois plus élevé en Europe qu’en moyenne dans le monde, grève les coûts de production. Quant à l’incitation attendue elle est limitée par la forte instabilité du prix de marché du carbone.

D’autres interventions sont décidées périodiquement par l’Union européenne dans des "paquets législatifs". Le plus récent d’entre eux, le paquet Fit for 55 ("Ajustement à l’objectif 55") est un ensemble d’une quinzaine de textes qui posent des règles et des interdictions, dont un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) . En réaction à l’Inflation Reduction Act américain, la Commission européenne a présenté un projet de règlement (le Net Zero Industry Act). Ce texte, largement orienté vers les procédures, est en fait très différent de l’IRA.

Ainsi, la liste des leviers de l’action climatique est à peu près partout la même. Mais leur mise en oeuvre et la façon de les combiner sont différentes de sorte que leurs impacts macroéconomiques sont aussi différents. Un critère de comparaison économique peut consister à classer les leviers de décarbonation selon qu’ils jouent plutôt dans le sens d’une stimulation de l’offre (plutôt favorable à la compétitivité et la croissance potentielle), ou dans le sens d’une régulation, voire d’une restriction, de la demande (plutôt neutre ou défavorable à la croissance). La Chine et les Etats-Unis privilégient des leviers climatiques tournés vers la stimulation de l’offre. Hésitant entre l’offre et la demande, l’Europe et la France régulent, avec un penchant pour une restriction de la demande.

Changer de stratégie en France pour saisir l'opportunité industrielle de la décarbonation

La France possède certains atouts: une électricité peu carbonée grâce au nucléaire, des entreprises mondiales de tout premier plan dans certains domaines verts, et ce qui est moins connu, un flux de brevets soutenu dans les technologies vertes. Mais ses faiblesses économiques limitent sa capacité d’action: un faible potentiel de croissance, 30 ans de désindustrialisation, des budgets publics exsangues, un commerce extérieur très déficitaire. Comment dans ces conditions réaliser la masse des investissements nécessaires pour la transition climatique, autour de 70 milliards d’euros par an en plus de la tendance, selon notre évaluation de 2022.

En réponse, Rexecode propose de changer de vision. Au lieu de subir la politique de décarbonation comme un fardeau, l’idée est de faire de la décarbonation un levier de compétitivité et de croissance. La stratégie pour la France, et elle pourrait l’être aussi pour l’Europe, est de construire une politique de l’offre pour le climat afin d’enclencher un cercle vertueux décarbonation à compétitivité à croissance à décarbonation. Une opportunité exceptionnelle se présente avec l’essor du marché mondial des technologies et des investissements de la décarbonation qui n’en est qu’à ses débuts. Il faut la saisir opportunité.

Nous proposons cinq lignes d’action pour réussir ce basculement, atteindre nos objectifs climatiques et remettre la France sur une meilleure trajectoire économique.

1. Consolider la croissance potentielle

2. Rendre l’ action publique moins coûteuse et plus efficace

3. Faire de la décarbonation un levier de compétitivité

4. Attirer l’épargne vers l’investissement par des fonds à capital garanti

5. Imaginer une planification globale et collective.

Voir ci-dessous le document de travail et ses annexes.

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