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Il est possible d'expliquer aux Français que l'enjeu reste le pouvoir d’achat, mais que cela passe par une hausse de la productivité

- Usine Nouvelle, août 2024

02/09/2024

Denis FERRAND

Denis Ferrand, directeur général de Rexecode,revient sur les enjeux économiques de la rentrée, lors d'un entretien croisé avec Xavier Ragot, président de l’OFCE pour l'Usine Nouvelle. Selon les deux économistes, le débat de politique économique ne saurait se limiter à la question du Smic ou des hausse d'impôts mais doit s'emparer d'enjeux plus larges et structurels: réforme de l'Etat, relance de la productivité par l'éducation et l'innovation, logement, concurrence, structure des prélèvements obligatoires.

Denis Ferrand, photo David Maurel pour Rexecode

L’incertitude politique de cet été a-t-elle eu un coût économique pour la France?

Denis Ferrand : La dégradation du climat des affaires ne reflète que le sentiment des chefs d’entreprise. La première indication tangible vient des déclarations d’embauches. Elles ont augmenté de 3% en juillet sur un mois. Il y a bien sûr un risque de voir des projets mis en sommeil. Mais je ne crois pas au caractère durable du choc. Tout dépendra de la façon dont on en sort.

Quelle doit être la priorité économique de la rentrée ?

La fuite en avant telle que proposée par le programme du Nouveau Front populaire se heurtera assez vite à un mur de réalité. À côté du budget, il faut une réflexion plus profonde sur la réforme de l’État. Il est paradoxal de voir l’emploi dans la fonction publique augmenter plus vite que l’emploi privé et une perte de substance dans les services publics, qui sont pourtant le patrimoine de ceux qui n’en ont pas.

Ensuite, circonscrire les politiques industrielles à de la tuyauterie fiscale revient à passer à côté de l’essentiel. Pour avoir de la mobilité d’un secteur à l’autre, mais aussi entre régions, il faut une politique du logement. La France a aussi une masse d’épargne très importante. L’orienter vers les secteurs qui peuvent soutenir la croissance serait une manière de distribuer des revenus financiers à la classe moyenne. On doit réussir à garder sur notre territoire les entreprises qui seront les fers de lance des transitions de demain. Depuis vingt ans, les investissements étrangers sortants sont plus importants que les flux entrants. Les sommets Choose France travaillent sur l’attractivité, mais ce serait pas mal d’avoir un Remain in France.

Faut-il poursuivre la politique de l’offre comme on l’a fait jusqu’à maintenant ?

Soyons basiques. La croissance est le produit de la quantité de facteurs, comme le travail, le capital et des gains d’efficacité de leur combinaison. Nous avons surtout mobilisé le premier versant quantitatif, par exemple en favorisant le retour à l’emploi. La progression de l’investissement a été plus forte en France que dans d’autres pays européens. Mais il faut passer à un autre versant. Ce qui fait la progression de la richesse d’un pays et du pouvoir d’achat, ce sont les gains de productivité. Il faut une vision plus large de la politique de l’offre qui s’appuie sur l’amélioration de l’éducation, la politique du logement, l’encouragement de l’innovation et de la recherche.

Il est possible d'expliquer aux Français que l'enjeu reste le pouvoir d’achat, mais que cela passe par une hausse de la productivité.

Le débat sur le pouvoir d’achat se focalise sur la hausse du Smic. Est-ce possible et suffisant ?

La vitesse à laquelle l’imagine le Nouveau Front populaire conduira à un choc compliqué. Comme le dit la CFDT, "le problème n’est pas le niveau du Smic, mais d’y rester". Si l’on a comme seule perspective de rester au Smic toute sa vie, il est légitime de demander son augmentation.

Le Smic ne devrait pas être un objet politique, on s’en sert par défaut. L’autre levier sur le pouvoir d’achat est la politique de concurrence. Le niveau des prix à la consommation est en France à peu près équivalent à celui de l’Allemagne, alors qu’il y a près de 15 points d’écart de PIB par habitant. Les politiques de concurrence ont été oubliées depuis la loi Macron 1.

Il existe aussi un problème d’écart de coût du travail dans le haut de l’échelle des salaires. Les baisses de cotisations s’arrêtent à 3,5 Smic et l’incitation à localiser les emplois très qualifiés ailleurs en Europe se pose.

Les hausses d’impôt étaient jusqu’à présent taboues. Faut-il les envisager et sur qui?

On peut surtout réfléchir à optimiser l’imposition en élargissant certaines assiettes. Nous avons encore une structure des prélèvements qui repose en grande partie sur le travail. Je ne suis pas favorable à une hausse de notre fiscalité, qui reste encore l’une des plus élevées en Europe, mais on pourrait distribuer du pouvoir d’achat aux salariés en baissant le taux de CSG sur les actifs et l’augmenter sur les retraités, par exemple.

Il y a aussi un risque de sécession de ceux qui ont la plus forte capacité contributive face à la déshérence des services publics. Si vous mettez vos enfants dans des écoles privées et fuyez l’hôpital pour des cliniques, cela crée un système à deux vitesses. C’est un risque majeur, car l’impôt fait le lien. Mais ce n’est pas la dépense publique qui nous permettra d’affronter tous nos défis. Il faut faire confiance à des mécanismes d’incitation.

Propos recueillis par Anne-Sophie Bellaiche et Solene Davesne

"Il faut une vision plus large de la politique de l’offre", estiment les économistes Denis Ferrand et Xavier Ragot
Article complet disponible sur le site de l'Usine Nouvelle, 30/08/2024

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