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Des difficultés de recrutement de plus en plus sensibles en Europe, au Japon et aux Etats-Unis

- Les Echos, mars 2019

12/03/2019

Denis FERRAND

La plupart des pays avancés sont confrontés à d'importantes difficultés de recrutement. Elles ont probablement contribué à freiner l'activité en Europe en 2018 et pourraient désormais le faire aux Etats-Unis. Associées partout au ralentissement de la population en âge de travailler, elles illustrent aussi des difficultés spécifiques: une situation de surchauffe aux Etats-Unis, un fort vieillissement de la population au Japon, un défaut d'inclusion dans l'emploi des jeunes non qualifiés en France.

Photo Etienne Girardet, Unsplash

• Les indicateurs de difficultés de recrutement battent des records dans de nombreuses économies.

35% des entreprises américaines sont confrontées à des difficultés à pourvoir des postes. Il y a 1,6 offre d'emploi pour une demande au Japon.

En 2018, une entreprise allemande du secteur des services sur trois déclarait que son activité était freinée par les difficultés d'accès à la main-d'oeuvre. C'était le cas d'une entreprise industrielle sur quatre. Ces proportions ont un peu fléchi depuis. Elles restent élevées. Elles le sont encore plus en Europe centrale, où l'activité d'une entreprise industrielle polonaise sur deux est contrainte par l'insuffisance de main-d'oeuvre. Elles concernent 3 entreprises industrielles hongroises sur 4. C'est cette économie qui a ainsi le besoin le plus urgent de flux migratoires entrants pour suppléer une main-d'oeuvre introuvable.

En France, 45% des entreprises de l'industrie, 65 % de celle des transports, 75% de celles du bâtiment se déclarent confrontées à des difficultés de recrutement. Derrière cet inventaire, c'est l'expression d'un phénomène transversal qui apparaît : celui de la rareté des compétences mobilisables.

• La population en âge de travailler ralentit

Les explications de ce phénomène sont multiples, même s'il procède d'un facteur commun : le ralentissement de la croissance de la population en âge de travailler. La population des 15-64 ans qui n'a quasiment pas augmenté en Allemagne en 2018, devrait diminuer de 0,4% par an d'ici 2023. Au Japon, elle recule de 0,9% par an depuis dix ans et la pénurie est telle qu'elle a conduit le pays à voter une loi autorisant l'afflux de migrants pour des métiers en tension [voir l'interview de Cynthia Kalasopatan sur RFI]. Le recul démographique de l'Europe centrale s'accompagne de mouvements migratoires sortants.

La croissance de la population en âge de travailler ralentit également aux Etats-Unis, mais le taux d'emploi de la population de 16 à 64 ans a retrouvé le niveau qui était le sien avant la récession de 2008. Toutefois, ce mouvement s'explique exclusivement par l'augmentation du taux d'emploi des plus de 55 ans, alors que la part des actifs dans la population des 16-54 ans est encore inférieure à son niveau d'avant 2008. La crise des opiacés, notamment, est passée par là, contribuant probablement à l'inactivité d'une frange importante de la population jeune.

• En France, le problème de l'insertion des jeunes peu qualifiés

Le cas de la France est particulier et préoccupant. La population en âge de travailler est quasiment stable et reculerait faiblement d'ici 2023. Or, en France, le handicap démographique se double d'un défaut majeur d'inclusion de la population jeune et peu formée. Le taux d'emploi des 20-29 ans a progressé de 2 points depuis 2008 pour les diplômé à Bac +2 et plus, alors qu'il a reculé de 10 points pour les non diplômés et de 5 points pour les diplômés proches du Bac.

Deux observations sur ce point : (1) Survenue entre 2008 te 2015, la baisse du taux d'emploi des jeunes non ou relativement peu formés est antérieure à la réduction drastique des emplois aidés. (2) Une telle divergence des taux d'emploi des plus jeunes, selon les niveaux de formation, ne s'observe dans aucun autre des grands pays de la zone euro.

Pour donner un ordre de grandeur, si le taux d'emploi de la population de 20 à 29 ans dont le niveau de formation initiale ne dépasse pas le bac était resté au même niveau que celui observé en 2008, 250.000 personnes supplémentaires de 20 à 29 ans seraient en emploi. A titre de comparaison, le nombre d'emplois vacants dans les entreprises de plus de 10 salariés est estimé à 150.000 par la Dares.

Ces chiffres illustrent bien un dysfonctionnement du marché du travail en France, qui inclut très largement les plus formés, sans que, pour autant, les postes occupés correspondent toujours à leur niveau initial de qualification, mais qui laisse de côté une frange croissante des moins formés tout en oubliant de pourvoir à un nombre croissant de postes. Répondre aux difficultés de recrutement, c'est aussi interroger les ressorts d'un retour à l'emploi de ceux qui en ont été de plus en plus éloignés et leur donner un horizon autre que le refuge dans le travail non déclaré dont la prévalence a été bien documentée récemment par le Conseil d'observation pour l'emploi.

Tribune de Denis Ferrand parue dans Les Echos du 5 mars 2019

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